Répondre à la question « comment pensent les juristes ? » est une façon de s'initier au droit et à la pratique juridique, c'est-à-dire à une technique particulière. Pour celles et ceux qui veulent devenir juriste cela correspond à une aspiration, celle de maîtriser un art (pour plaider, conseiller ou rédiger des actes juridiques). Plus largement, pour tous, répondre à cette question implique la découverte et l'acquisition d'un ensemble de connaissances élémentaires (une culture générale) dont la maîtrise présente plusieurs intérêts. Il s'agit d'abord de l'un des savoirs (avec d'autres, comme l'économie, la sociologie, la science politique, l'histoire, les humanités, etc) permettant de comprendre le monde contemporain – le comprendre « juridiquement ». Par ailleurs, politiquement, sa mise en pratique (son actualisation), est l'une des conditions d'existence de l'État de droit.
Cette dernière affirmation conduit à interroger l'actualité. Une ambiance anti-juridique forme en effet la toile de fond de cet enseignement. Connaître la culture juridique devient utile lorsqu'on prend conscience de la faiblesse politique du droit. « Vous avez juridiquement tort, parce que vous êtes politiquement minoritaire ! » Telle était la déclaration, fameuse, prononcée à l'assemblée nationale, à l'aube d'un double septennat aujourd'hui lointain, qui promettait de « changer la vie ». Excessive, insignifiante donc, une telle phrase faisait alors sourire les amphithéâtres. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Au contraire. L'émergence des démocraties « illibérales » témoigne en Europe d'une crise de l'État de droit, d'une crise politique du droit. Une crise qu'irrigue encore par mille et un canaux un flot de peurs : la guerre, le terrorisme, les pandémies, les migrations, le changement climatique, la faim, l'injustice sociale. Sur quoi, une nouvelle démagogie prospère, puissante. Le temps où, grisés de libertés, on célébrait, la même année, le bicentenaire de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la chute du mur de Berlin, a passé. 1989 s'éloigne. C'est ainsi. Une parenthèse se referme peut-être.
Selon de nombreux commentateurs, l'État de droit semble encore affaibli lorsque de l'autre côté de l'Atlantique des juges politisent leur décision, modifiant leur jurisprudence et redéfinissant les droits constitutionnels. Ils confirment ainsi l'existence de leur gouvernement (le fameux « gouvernement des juges ») ou au moins celle de leur pouvoir. Ce qui fait douter de la légitimité de leur office. Et conduit à poser de nouveau des questions complexes et redoutables : qu'est-ce qu'une décision juridique ? Une décision de justice est-elle une décision politique ?
Et la culture juridique ? Dans un tel contexte, pour certains, elle sera espoir - certains penseront chimère - ; pour d'autres, un ensemble de connaissances et de principes superflus, inutiles ou, au mieux, un ensemble d'obstacles et de frein à l'action voulue par une majorité ou commandée par la raison ou la nécessité.
Quoi qu'il en soit, afin de s'initier au droit, interroger une culture plutôt qu'une une théorie ou une doctrine permet de saisir le droit (c'est-à-dire un phénomène social) en intégrant à son étude certains objets parfois laissés de côté dans des introductions plus techniciennes : des personnages, des mythes, des activités ; certains supports aussi : des films, des séries, des tableaux, des morceaux de musique … Nous pouvons nous autoriser à déborder la présentation traditionnelle de ses sources formelles (la loi, la coutume, etc.) et des méthodes d'interprétation, d'application (par qui, comment, etc.), de ces dernières. Il y a aussi « des valeurs, des savoirs et des savoir-faire qui orientent, donnent sens et cohérence aux activités des différents professionnels du droit » (Audren et Halpérin). Il n'est pas inutile de les connaître.
Partager une culture juridique ? Oui, mais laquelle ? Il s'agit, si l'on veut, d'une culture juridique générale. Qui permet de situer la tradition juridique parmi les humanités. Qui autorise aussi à surplomber les différentes cultures juridiques françaises (celle des avocats, des notaires, des professeurs de droit, etc.) Parlant de culture générale, il n'est donc pas question d'étudier une culture juridique populaire, même si la question est intéressante. Ni volkrecht, ni droit vulgaire, pas plus que pop-culture, notre culture juridique n'oubliera pas d'être savante. Elle porte sur des œuvres, sur un style (elegantia juris), une manière d'être, des mythes, des personnages… Loin des sirènes hurlantes des séries américaines, des étoiles de shérifs, elle entend combattre une inculture juridique préoccupante et par là résister à la crise politique de l'État de droit que nous évoquions à l'instant.
Cette culture est aussi une culture européenne et nationale. Les traditions juridiques sont nombreuses, passionnantes. Nous n'en présenterons toutefois pas une comparaison systématique. Nous n'entendons pas ainsi, dans les pages qui suivent, donner une introduction au droit comparé, ni même en solliciter les instruments (comme la classification des systèmes juridiques). Nous partirons de la culture juridique française, que nous présenterons dans sa dimension historique : romaniste, hier ; européenne, aujourd'hui. Nous ne négligerons pas les enjeux attachés, depuis longtemps, à sa globalisation : les activités saisies par le droit se sont toujours défiées des frontières politiques ; l'impérialisme des États-Nation pèse sur notre matière, comme le déclin dont ces derniers souffrent aujourd'hui.
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PLAN GENERAL:
Chapitre 1. – Gouverner
Chapitre 2. – Contraindre et sanctionner
Chapitre 3. – Instituer
Chapitre 4. – Des textes
Chapitre 5. – Des décisions
Chapitre 6. – Un système
Vincent FORRAY,Sombéwendin Dorcas GOABGA
Cours magistral et conférences
français
Lectures et exercices hebdomadaires (TD)
Aucun
Automne 2025-2026
Le cours donnera lieu à un examen au cours duquel les étudiant-e-s auront le choix entre un essai argumenté portant sur un sujet de type dissertation lié de près au cours et un commentaire portant sur un texte lu pendant l'année.