Ce séminaire dressera un panorama analytique de la philosophie africaine contemporaine,
anglophone et francophone, des années 1930 à nos jours et articulera une lecture critique du grand
débat qui a porté sur l'existence de la philosophie africaine afin de dégager les thèmes majeurs et
les principaux enjeux philosophiques et politiques d'un philosopher en Afrique, à partir de l'Afrique
– et de ses diasporas –, sur l'Afrique et pour l'Afrique et ses diasporas. Ce faisant, nous interrogerons
certain des arguments avancés dans les années 1960-1970 pour penser une nécessaire décolonisation des savoirs et des sociétés ; arguments qui se retrouvent réactivés un demi-siècle
plus tard, rencontrant des préoccupations émanant d'autres aires géographiques et culturelles.
Nous verrons dans quelle mesure ils peuvent alors se révéler pertinents pour penser les grands
enjeux contemporains mondiaux.
Séverine KODJO-GRANDVAUX
Séminaire
français
OBJECTIFS PEDAGOGIQUES
L'ambition de ce séminaire est double. Il vise à la fois à penser les philosophies africaines et à penser
avec les philosophies africaines. Il s'agira donc, dans un premier mouvement, de situer les textes
philosophiques africains dans leur contexte de production et de comprendre leurs conditions de
possibilité ainsi que leurs raisons internes. Et, dans un second mouvement, il nous importera de
voir en quoi ces textes ne sont pas uniquement des outils de compréhension des seuls mondes
africains mais permettent de comprendre le monde depuis les mondes africains.
Toutes les séances seront construites à partir d'une liste précise de textes que les étudiants devront
lire en amont. Une partie du cours sera consacrée à l'étude d'un ou plusieurs de ces textes. Il est
attendu une participation active des étudiants à chaque séance.
Printemps 2024-2025
MODALITÉS D'ÉVALUATION
1. Note de lecture
Une note de lecture devra être réalisée à partir de la liste fournie au début du séminaire. Elle
représentera 45 % de la note finale.
2. Exposé
Un exposé de 10 min (+ 5 min de questions) par groupe de 2 ou 3 étudiants devra être réalisé sur
un thème choisi en accord avec l'enseignant. Il représentera 45 % de la note finale. Cet exercice vise
à valoriser la capacité de lecture et d'analyse de textes philosophiques ainsi que la compétence à
construire une problématique philosophique précise. La durée relativement courte de l'exposé vise,
quant à elle, à évaluer la disposition à parler de manière extrêmement précise et succincte sur un
thème complexe.
3. Note de participation
La participation en cours (assiduité, présence, ponctualité, contribution positive aux conversations)
représentera 10 % de la note finale.
SEANCES
Séance 1. (28.01.24) : Paris noirs
Cette première séance reviendra sur les pensées de l'entre-deux-guerres afin de comprendre dans
quel contexte émergera la question de la philosophie africaine. Nous nous attarderons alors sur ce
qu'on a appelé le « Paris noir » qui a permis qu'un mouvement intellectuel international se précise
entre des penseur·ses issu·es d'Afrique, des Caraïbes et des États-Unis autour des questions de
race, d'affirmation de soi et d'émancipation et/ou de libération.
Séance 2. (04.02.24) : La question de la philosophie africaine
Nous reviendrons sur le rôle singulier qu'aura joué, malgré lui, l'ouvrage de Placide Tempels, La
Philosophie bantoue, publié à un moment où la pratique coloniale était de plus en plus confrontée
à des mouvements contestataires. Nous en étudierons les différentes réceptions parmi les penseurs africains et la production de textes ethnophilosophiques qui en a découlé. C'est alors le grand débat
sur l'existence de la philosophie, dont nous analyserons les ressorts et les différents arguments
avancés.
Séance 3. (11.02.24) : Oralité et philosophie
L'une des questions soulevées lors du débat sur la philosophie africaine a porté sur la place de
l'oralité et le rôle de l'écriture dans la production d'une réflexion philosophique. Nous reviendrons
plus précisément sur ces arguments et sur les problématiques soulevées par la question d'une
rationalité discursive ; arguments et problématiques qui ont été également menés dans d'autres
champs disciplinaires, telle que la littérature et l'histoire. Il nous intéressera alors de nous situer
dans une approche transdisciplinaire.
Séance 4. (18.02.24) : Philosopher en langues
Autre grande problématique soulevée par le débat sur la philosophie africaine : le lien entre langue
et pensée. Revenant sur le colonialisme linguistique, nous verrons, notamment, comment l'idée
selon laquelle il y aurait des langues philosophiques a été reprise et débattue, comment ont pu être
pensées une libération et une émancipation par et dans la langue, et enfin comment a été abordée
la question de la traduction et des intraduisibles rendant possible une philosophie en langues
africaines.
Séance 5. (04.03.24) : De la race en philosophie
Il importera de revenir dans un premier temps sur la fabrique de la race, c'est-à-dire sur le
processus qui a amené une Europe conquérante d'inventer la race (puis l'ethnie) pour asseoir sa domination. Puis de voir comment ces notions ont ensuite opéré au sein du discours philosophique
participant à l'invention d'une Afrique noire.
Séance 6. (11.03.24) : Décolonisation des savoirs
L'un des grands mots d'ordre du débat sur la philosophie africaine des années 1960-1970 a porté
sur la nécessaire décolonisation mentale et épistémique et la question des différentes bibliothèques
philosophiques possibles. Un demi-siècle plus tard, cette exigence de décolonisation de la
philosophie et des savoirs revient après un détour latino-américain et américain. Il nous importera
de réinterroger les filiations et les affiliations du discours portant sur la décolonisation des savoirs
afin de voir ce qui se joue de nos jours.
Séance 7. (18.03.24) : Savoirs endogènes et épistémologies plurielles
La contestation de l'hégémonie épistémique occidentale a amené certain·es penseur·ses à interroger
une pluralité de savoirs non occidentaux et à concevoir ce que pourraient être/sont d'autres
modèles épistémiques. Il s'agira alors de revenir sur certaines de ces propositions et de penser à
nouveau frais les savoirs endogènes et autres « épistémologies du Sud ». Dans cette perspective,
nous nous intéresserons en particulier à certaines lectures postcoloniales de l'animisme.
Séance 8. (25.03.24) : Habiter le monde
La contestation de l'hégémonie occidentale a conduit à la remise en cause, non pas tant de
l'universel, que de l'universalisme, et à penser l'humanité dans toute sa pluralité. Nous reviendrons
sur un certain nombre de critiques très disparates de l'universalisme et sur les pensées africaines
du cosmopolitisme, de l'éthique relationnelle et de l'ubuntu.
Séance 9. (02.04.24) : Humanisme et féminisme
Cette séance reviendra sur quelques-uns des textes majeurs et des différents courants qui ont pensé
et problématisé la condition des femmes africaines et/ou afrodescendantes et qui ont soulevé les
questions du genre et de l'intersectionnalité (genre, race & classe), montrant alors les limites de
l'humanisme et du féminisme tels qu'abordés par les courants occidentaux prédominants.
Séance 10. (08.04.24) : Habiter la Terre
Revenant sur l'une des singularités de « l'habiter colonial », il nous intéressera d'interroger différents
rapports possibles à la Terre et au vivant et de voir comment la séparation de la question humaine
du reste du vivant a pu conduire à un « colonialisme vert ». Nous nous demanderons alors comment
– et pourquoi – faire communauté avec le vivant et quelles sont les questions philosophiques,
épistémiques, politiques, juridiques mais aussi éthiques et spirituelles soulevées.
Séance 11. (15.04.24) : Africana Philosophy
Nous reviendrons sur trois notions importantes qui pensent l'Afrique au-delà du continent, Africana
Philosophy, Black Existentialism et Atlantique noir. Nous verrons quels sont les enjeux et les
propositions de ces notions pour le monde contemporain.
Séance 12. (22.04.24) : Mémoires pluritopiques
Enfin, nous terminerons ce séminaire par une étude de textes qui pensent le futur et qui reviennent
sur les manières de mobiliser le passé en vue du futur que l'on souhaite se donner et de la
communauté que l'on souhaiter forger. Il sera question de mémoire, d'utopie et d'afrotopia, de kairos
et de prospective.
pas de lecture principale
Jean-Godefroy Bidima, La Philosophie négro-africaine, Paris, PUF, « Que sais-je », 1995 ; réédition numérique, 2018.