CHUM 27F18 - Philosophie africaine

Ce séminaire dressera un panorama analytique de la philosophie africaine contemporaine, anglophone et francophone, des années 1930 à nos jours et articulera une lecture critique du grand débat qui a porté sur l'existence de la philosophie africaine afin de dégager les thèmes majeurs et les principaux enjeux philosophiques et politiques d'un philosopher en Afrique, à partir de l'Afrique – et de ses diasporas –, sur l'Afrique et pour l'Afrique et ses diasporas. Ce faisant, nous interrogerons certain des arguments avancés dans les années 1960-1970 pour penser une nécessaire décolonisation des savoirs et des sociétés ; arguments qui se retrouvent réactivés un demi-siècle plus tard, rencontrant des préoccupations émanant d'autres aires géographiques et culturelles. Nous verrons dans quelle mesure ils peuvent alors se révéler pertinents pour penser les grands enjeux contemporains mondiaux.
Séverine KODJO-GRANDVAUX
Séminaire
français
OBJECTIFS PEDAGOGIQUES L'ambition de ce séminaire est double. Il vise à la fois à penser les philosophies africaines et à penser avec les philosophies africaines. Il s'agira donc, dans un premier mouvement, de situer les textes philosophiques africains dans leur contexte de production et de comprendre leurs conditions de possibilité ainsi que leurs raisons internes. Et, dans un second mouvement, il nous importera de voir en quoi ces textes ne sont pas uniquement des outils de compréhension des seuls mondes africains mais permettent de comprendre le monde depuis les mondes africains. Toutes les séances seront construites à partir d'une liste précise de textes que les étudiants devront lire en amont. Une partie du cours sera consacrée à l'étude d'un ou plusieurs de ces textes. Il est attendu une participation active des étudiants à chaque séance.
Printemps 2024-2025
MODALITÉS D'ÉVALUATION 1. Note de lecture Une note de lecture devra être réalisée à partir de la liste fournie au début du séminaire. Elle représentera 45 % de la note finale. 2. Exposé Un exposé de 10 min (+ 5 min de questions) par groupe de 2 ou 3 étudiants devra être réalisé sur un thème choisi en accord avec l'enseignant. Il représentera 45 % de la note finale. Cet exercice vise à valoriser la capacité de lecture et d'analyse de textes philosophiques ainsi que la compétence à construire une problématique philosophique précise. La durée relativement courte de l'exposé vise, quant à elle, à évaluer la disposition à parler de manière extrêmement précise et succincte sur un thème complexe. 3. Note de participation La participation en cours (assiduité, présence, ponctualité, contribution positive aux conversations) représentera 10 % de la note finale.
SEANCES Séance 1. (28.01.24) : Paris noirs Cette première séance reviendra sur les pensées de l'entre-deux-guerres afin de comprendre dans quel contexte émergera la question de la philosophie africaine. Nous nous attarderons alors sur ce qu'on a appelé le « Paris noir » qui a permis qu'un mouvement intellectuel international se précise entre des penseur·ses issu·es d'Afrique, des Caraïbes et des États-Unis autour des questions de race, d'affirmation de soi et d'émancipation et/ou de libération. Séance 2. (04.02.24) : La question de la philosophie africaine Nous reviendrons sur le rôle singulier qu'aura joué, malgré lui, l'ouvrage de Placide Tempels, La Philosophie bantoue, publié à un moment où la pratique coloniale était de plus en plus confrontée à des mouvements contestataires. Nous en étudierons les différentes réceptions parmi les penseurs africains et la production de textes ethnophilosophiques qui en a découlé. C'est alors le grand débat sur l'existence de la philosophie, dont nous analyserons les ressorts et les différents arguments avancés. Séance 3. (11.02.24) : Oralité et philosophie L'une des questions soulevées lors du débat sur la philosophie africaine a porté sur la place de l'oralité et le rôle de l'écriture dans la production d'une réflexion philosophique. Nous reviendrons plus précisément sur ces arguments et sur les problématiques soulevées par la question d'une rationalité discursive ; arguments et problématiques qui ont été également menés dans d'autres champs disciplinaires, telle que la littérature et l'histoire. Il nous intéressera alors de nous situer dans une approche transdisciplinaire. Séance 4. (18.02.24) : Philosopher en langues Autre grande problématique soulevée par le débat sur la philosophie africaine : le lien entre langue et pensée. Revenant sur le colonialisme linguistique, nous verrons, notamment, comment l'idée selon laquelle il y aurait des langues philosophiques a été reprise et débattue, comment ont pu être pensées une libération et une émancipation par et dans la langue, et enfin comment a été abordée la question de la traduction et des intraduisibles rendant possible une philosophie en langues africaines. Séance 5. (04.03.24) : De la race en philosophie Il importera de revenir dans un premier temps sur la fabrique de la race, c'est-à-dire sur le processus qui a amené une Europe conquérante d'inventer la race (puis l'ethnie) pour asseoir sa domination. Puis de voir comment ces notions ont ensuite opéré au sein du discours philosophique participant à l'invention d'une Afrique noire. Séance 6. (11.03.24) : Décolonisation des savoirs L'un des grands mots d'ordre du débat sur la philosophie africaine des années 1960-1970 a porté sur la nécessaire décolonisation mentale et épistémique et la question des différentes bibliothèques philosophiques possibles. Un demi-siècle plus tard, cette exigence de décolonisation de la philosophie et des savoirs revient après un détour latino-américain et américain. Il nous importera de réinterroger les filiations et les affiliations du discours portant sur la décolonisation des savoirs afin de voir ce qui se joue de nos jours. Séance 7. (18.03.24) : Savoirs endogènes et épistémologies plurielles La contestation de l'hégémonie épistémique occidentale a amené certain·es penseur·ses à interroger une pluralité de savoirs non occidentaux et à concevoir ce que pourraient être/sont d'autres modèles épistémiques. Il s'agira alors de revenir sur certaines de ces propositions et de penser à nouveau frais les savoirs endogènes et autres « épistémologies du Sud ». Dans cette perspective, nous nous intéresserons en particulier à certaines lectures postcoloniales de l'animisme. Séance 8. (25.03.24) : Habiter le monde La contestation de l'hégémonie occidentale a conduit à la remise en cause, non pas tant de l'universel, que de l'universalisme, et à penser l'humanité dans toute sa pluralité. Nous reviendrons sur un certain nombre de critiques très disparates de l'universalisme et sur les pensées africaines du cosmopolitisme, de l'éthique relationnelle et de l'ubuntu. Séance 9. (02.04.24) : Humanisme et féminisme Cette séance reviendra sur quelques-uns des textes majeurs et des différents courants qui ont pensé et problématisé la condition des femmes africaines et/ou afrodescendantes et qui ont soulevé les questions du genre et de l'intersectionnalité (genre, race & classe), montrant alors les limites de l'humanisme et du féminisme tels qu'abordés par les courants occidentaux prédominants. Séance 10. (08.04.24) : Habiter la Terre Revenant sur l'une des singularités de « l'habiter colonial », il nous intéressera d'interroger différents rapports possibles à la Terre et au vivant et de voir comment la séparation de la question humaine du reste du vivant a pu conduire à un « colonialisme vert ». Nous nous demanderons alors comment – et pourquoi – faire communauté avec le vivant et quelles sont les questions philosophiques, épistémiques, politiques, juridiques mais aussi éthiques et spirituelles soulevées. Séance 11. (15.04.24) : Africana Philosophy Nous reviendrons sur trois notions importantes qui pensent l'Afrique au-delà du continent, Africana Philosophy, Black Existentialism et Atlantique noir. Nous verrons quels sont les enjeux et les propositions de ces notions pour le monde contemporain. Séance 12. (22.04.24) : Mémoires pluritopiques Enfin, nous terminerons ce séminaire par une étude de textes qui pensent le futur et qui reviennent sur les manières de mobiliser le passé en vue du futur que l'on souhaite se donner et de la communauté que l'on souhaiter forger. Il sera question de mémoire, d'utopie et d'afrotopia, de kairos et de prospective.
pas de lecture principale
Jean-Godefroy Bidima, La Philosophie négro-africaine, Paris, PUF, « Que sais-je », 1995 ; réédition numérique, 2018.
Fabien Eboussi Boulaga, « Le Bantou problématique », Présence africaine, 1968, n° 66, p. 4-40.
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence africaine, 1955.
Souleymane Bachir Diagne, L'Encre des savants, Paris, Présence africaine, 2013.
Harry Garuba, « On Animism, Modernity/Colonialism, and the African Order of Knowledge: Provisional Reflections », e-flux journal, #36, July 2012
Sarah Mazouz, Race, Paris, Anamosa, 2020.
Charles Mills, Le Contrat racial, traduction d'Aly Ndiaue, Mémoire d'encrier, 2023.
Jean-Paul Sartre, Orphée noir, préface de l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache, 1948
Léopold Sédar Senghor, « Ce que l'homme noir apporte », Liberté I, édité en 1964, Le Seuil, p.22-37, le texte date de 1939.
Awa Thiam, Parole aux négresses, Paris, Denoël, 1979 ; réédition Divergences, 2024.